— Il y a une chose que je ne comprends pas, dit Neville tandis qu’ils achevaient de dîner... Près de trois ans se sont écoulés, et il y en a encore quelques-uns de vivants : « on » puise toujours dans les stocks alimentaires... Autant que je sache, pendant la journée, ils sont plongés dans le coma, mais ils ne sont pas morts. Trois ans après. Qu’est-ce qui les soutient ?

Vers cinq heures, apaisée, Ruth avait pris un bain et s’était changée. Elle avait mis le peignoir de bain de Neville. Son corps mince flottait dans le vaste peignoir de tissu-éponge. Elle s’était noué les cheveux en queue de cheval.

— Nous en voyions parfois, dit-elle. Mais nous n’osions pas les approcher. Nous pensions qu’il valait mieux ne pas les toucher.

— Saviez-vous qu’ils revenaient une fois morts ?

— Non.

— Vous ne vous demandiez pas qui étaient les gens qui assaillaient votre maison, la nuit ?

Elle hocha la tête lentement.

— Nous n’aurions jamais imaginé qu’ils étaient — Comment croire une chose pareille ?

— Evidemment, dit Neville.

Il l’avait regardée manger en silence. Comment croire, aussi, qu’elle était une femme normale ? Comment croire, après toutes ces années, qu’il avait trouvé une compagne ? Ce n’était pas seulement d’elle qu’il doutait, mais plus encore de la possibilité d’un tel miracle dans un tel monde...

— Parlez-moi encore d’eux, dit Ruth.

Il se leva pour prendre la cafetière sur le fourneau, remplit les deux tasses et se rassit.

— Comment vous sentez-vous à présent ?

— Mieux, dit-elle. Merci.

Neville sentit qu’elle le regardait.

— Vous n’avez toujours pas confiance en moi, dit-elle.

Il hésita.

— Ce... ce n’est pas cela.

— Mais, si, dit-elle tranquillement. Mais si, c’est ça... Eh bien, allez-y : faites-moi une prise de sang !

Il la regarda curieusement : était-ce un piège ? Mais non : c’était stupide d’être à ce point soupçonneux !

— Bien, dit-il. Très bien... Si vous êtes contaminée, je ferai tout ce qui sera possible pour vous guérir.

— Et si vous ne le pouvez pas ?...

Leurs regards se croisèrent. Il y eut un silence.

— Nous verrons, dit Neville en vidant sa tasse... Voulez-vous... tout de suite ?

— Non, demain matin, je vous en prie... Je me sens encore un peu mal en point.

— Bon, dit-il. Demain matin.

Le fait qu’elle ait consenti à le laisser examiner son sang ne procurait à Neville qu’une mince satisfaction, car il craignait de découvrir qu’elle était effectivement contaminée. En même temps, il se disait qu’ils allaient passer ensemble une soirée et une nuit. Peut-être cela lui en apprendrait-il plus long sur elle. Peut-être même cela l’attacherait-il à elle. Et s’il fallait ensuite que, le matin venu, il...

 

Un peu plus tard, dans le living-room, ils écoutaient la IVe  Symphonie de Schubert.

— Je n’arrive pas à y croire, dit Ruth... Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour encore j’écouterais de la musique en buvant du vin...

Elle regardait autour d’elle.

— Vous avez bien arrangé votre maison.

— Comment était-ce, chez vous ? demanda Neville.

— C’était... différent.

— Comment vous protégiez-vous ?

Elle parut chercher dans ses souvenirs.

— Nous avions cloué des planches aux fenêtres, comme vous. Et nous avions mis des croix...

Il la regarda et dit, d’une voix tranquille :

— Elles ne sont pas toujours efficaces.

— Que voulez-vous dire ?

— Pourquoi un juif craindrait-il la croix ? Pourquoi un vampire qui, de son vivant, était israélite, la craindrait-il ? La plupart des gens redoutaient de devenir des vampires, et c’est pourquoi la plupart d’entre eux sont atteints de cécité hystérique devant les miroirs. Mais quel effet peut avoir la croix sur un juif, un musulman, un bouddhiste ou un athée ?...

Elle soutint son regard.

— Vous ne m’avez pas laissé parler, reprit-elle. Nous utilisions de l’ail, également...

— Je croyais qu’il vous rendait malade ?

— J’étais déjà malade. J’avais perdu près de dix kilos...

Il hocha la tête. Mais tandis qu’il allait chercher une autre bouteille de vin dans la cuisine, il se dit qu’elle aurait dû s’y faire, après trois ans... (Pourquoi y avait-il toujours en lui, cette ombre de soupçon ? N’avait-elle pas accepté qu’il analysât son sang ? Oui, mais pouvait-elle faire autrement ?... « Je suis absurde, pensa-t-il. J’ai été seul trop longtemps. A présent, je doute de tout, sauf de mon microscope. C’est l’hérédité qui parle... Je suis bien le fils de mon père, que le Diable l’emporte ! »)

De la cuisine, il regardait Ruth, dans le living-room. Ses yeux s’arrêtèrent un instant sur sa poitrine. Elle avait un corps de jeune fille. Il n’arrivait pas à croire qu’elle avait eu deux enfants... Le plus curieux de l’affaire, se dit-il, c’était qu’elle n’éveillât en lui aucun désir physique. S’il l’avait trouvée deux ans plus tôt, peut-être l’eût-il violée. Il avait connu des moments terribles, à cette époque, où la frustration sexuelle le rendait parfois à moitié fou. Et puis, le travail systématique avait fait prendre à ses pensées un autre cours. C’était comme si tout instinct sexuel était mort en lui. « C’est ce qui devait sauver les moines, jadis... » pensa-t-il. A présent. Dieu merci, il était tranquille de ce côté, et il en était heureux, particulièrement ce soir, dans la mesure où rien ne l’autorisait à penser qu’il pourrait laisser vivre Ruth plus de vingt-quatre heures... Car s’il avait parlé de la soigner, au cas où elle serait atteinte, il savait bien qu’il n’en avait pas encore trouvé le moyen.

Il revint dans le living-room.

— Ça a dû vous donner beaucoup de travail, de vous installer ainsi, dit-elle.

— Vous devriez le savoir. Vous avez passé par là, non ?

— Ce n’était pas pareil. Notre maison était petite. Nous ne pouvions pas songer à avoir les mêmes réserves que vous.

— Comment faisiez-vous pour vous nourrir ? demanda-t-il, à nouveau soupçonneux.

— Nous vivions de conserves.

Il acquiesça. C’était plausible. Et, malgré tout, quelque chose le tracassait, dans ses réponses, qu’il n’eût pu préciser. C’était affaire de pure intuition...

— Et comment faisiez-vous pour l’eau ?

Elle le regarda un moment sans rien dire.

— Vous ne croyez pas un mot de ce que je vous dis, n’est-ce pas ?

— Ce n’est pas cela, dit Neville. Je me demande simplement comment vous viviez.

— Non. N’essayez pas de mentir. Votre voix vous trahit. Vous avez été seul trop longtemps : vous ne savez plus jouer la comédie...

Il avait le sentiment gênant qu’elle se moquait de lui. « C’est ridicule, pensa-t-il. C’est une femme, après tout. Elle doit avoir raison : je ne suis qu’un ermite mal embouché... Et puis après ? »

— Parlez-moi de votre mari, dit-il brusquement.

Une ombre passa sur le visage de Ruth. Elle baissa la tête.

— Pas maintenant, je vous en prie... dit-elle.

Il se laissa tomber dans le fauteuil, renonçant à analyser le malaise qu’il ressentait. Tout ce que Ruth disait ou faisait pouvait s’expliquer par les épreuves qu’elle avait subies, et pouvait aussi bien n’être que mensonges. Comment savoir, avant le lendemain matin ? Et, d’autre part, pourquoi eût-elle menti, alors qu’elle savait justement que, dans quelques heures, il saurait, de toute manière, la vérité ?... Neville fit un effort pour alléger l’atmosphère.

— Savez-vous à quoi je pense ? dit-il. Si trois personnes ont réussi à survivre à l’épidémie, pourquoi n’y en aurait-il pas d’autres ?

— Vous croyez que c’est possible ?

— Pourquoi pas ?

— Parlez-moi encore de la maladie...

Il hésita une seconde. Fallait-il tout lui dire ? Qu’arriverait-il si elle réussissait à s’échapper et si, ensuite, elle revenait avec les autres, sachant tout ce qu’il savait ?

— Le sujet est vaste, dit-il.

— Ce que vous disiez au sujet de la croix... l’avez-vous vérifié ?

— Vous vous souvenez de ce que je vous ai raconté à propos de Ben Cortman ?

— C’est cet homme que vous avez...

— Oui... Venez. Je vais vous le montrer...

Il l’amena devant le judas. Tandis qu’elle regardait, debout derrière elle il sentit l’odeur de ses cheveux et de sa peau. « C’est curieux, pensa-t-il... L’odeur d’un corps ne me plaît plus. Je suis comme Gulliver, après son séjour chez les chevaux-pensants... »

— C’est celui qui se tient près du lampadaire, dit-il.

— Ils sont peu nombreux, remarqua Ruth. Où sont les autres ?

— J’en ai tué beaucoup...

— Mais ce lampadaire... Je croyais qu’ils avaient détruit toutes les installations électriques ?

— Je l’ai branché sur mon groupe électrogène, pour pouvoir les surveiller.

— Ils n’ont pas essayé de briser l’ampoule ?

— Elle est bien protégée. Et je la garnis régulièrement de gousses d’ail.

— Vous avez pensé à tout, dit-elle.

Elle s’écarta du judas et reprit :

— Voulez-vous m’excuser un instant ?

Neville la suivit des yeux tandis qu’elle gagnait la salle de bains, et un sourire s’ébaucha sur ses lèvres. Il y avait quelque chose de comique dans cette formule d’un autre âge : « Voulez-vous m’excuser un instant ? » Il imaginait une jeune fille bien élevée assistant à une soirée mondaine, quelque Traité de savoir-vivre pour jeunes Vampires...

Puis son sourire s’effaça. Que se passerait-il si elle n’était pas contaminée ? Dans le cas contraire, tout était simple : il continuerait de vivre comme précédemment. Mais si Ruth était saine ? Si elle restait avec lui, s’ils commençaient une nouvelle vie, qui sait : s’ils avaient des enfants ?... Cette perspective était presque terrifiante, et Neville se rendit compte qu’il était devenu un « vieux garçon » invétéré. Il ne pensait plus à Virginia, à Kathy, à sa vie passée. Le présent lui suffisait. Et la perspective d’une nouvelle existence, faite de responsabilités et de sacrifices, l’effrayait. Il redoutait d’avoir à se lier, à se livrer, à laisser libre cours aux émotions et aux sentiments qu’il avait bannis de son univers. Il avait peur d’aimer à nouveau...

Lorsque Ruth revint de la salle de bains, elle enchaîna :

— Vous alliez me parler de Cortman...

— Cortman ?... Ah ! oui... Eh bien, une nuit, je l’ai amené ici et je lui ai montré une croix.

— Qu’a-t-il fait ?...

(« Et si je la tuais tout de suite ? pensa Neville. Sans même chercher à savoir... Si je la tuais et la brûlais ?... » Il frémit. De telles pensées attestaient la hideur du monde auquel il s’était fait, d’un monde où le meurtre était plus banal et plus facile que l’espoir... Mais non, il n’en était pas encore là !)

— Qu’avez-vous ? questionna Ruth en le regardant avec inquiétude.

— Rien, dit-il. Excusez-moi... Donc, Cortman... lorsque je lui ai montré la croix, eh bien, il a éclaté de rire. Mais ensuite, j’ai obtenu la réaction que j’attendais en lui montrant une torah !

— Une... quoi ?

— Une torah. Ce sont les tables de la Loi, pour les juifs... Cortman, que j’avais attaché, a brisé ses liens et s’est jeté sur moi.

— Et alors ?

— Il m’a frappé. Mais j’ai réussi à le repousser jusqu’à la porte, rien qu’en lui montrant la torah... Ainsi, comme vous le voyez, ce n’est pas la croix elle-même qui a le pouvoir que lui attribue la légende. Selon moi, cette légende a sa source dans le fait qu’en Europe, où elle est née, la prédominance catholique explique que la croix soit le symbole naturel de la lutte contre les puissances des ténèbres...

— Vous n’avez pas essayé d’abattre Cortman avec votre revolver ?

— Comment savez-vous que j’ai un revolver ?

— Je... le présume. Nous en avions plusieurs...

— Alors vous devez savoir que les balles sont sans effet sur les vampires.

— Nous... n’étions pas très sûrs. Savez-vous pourquoi il en est ainsi ?

— Non, dit-il en hochant de la tête. Je l’ignore...

Il mentait. Il l’avait découvert, mais n’avait pas envie de le dire à Ruth... Pendant un long moment, ils écoutèrent la musique sans parler.

Les expériences de Neville sur les vampires morts lui avaient fait découvrir que le bacille avait le pouvoir de provoquer la sécrétion d’une sorte de glu sanguine qui obstruait presque immédiatement les blessures causées par les balles. A l’intérieur du corps, celles-ci ne pouvaient provoquer aucun dommage, tout l’organisme étant maintenu en activité par les germes. Tirer sur des vampires équivalait à jeter des cailloux dans un baril de goudron...

 

Pour faire quelque chose, Neville alla chercher sa pipe et la bourra, sans songer à demander à Ruth si la fumée la dérangeait.

Le pick-up s’arrêta. Elle prit un autre disque et le mit sur l’appareil. C’était le Deuxième concerto pour piano de Rachmaninoff. « Elle a des goûts bien conventionnels », pensa Neville, machinalement.

— Parlez-moi de vous, dit-elle.

Il faillit sourire : c’était bien là une question de femme...

— Il n’y a rien à dire...

Elle rit. De lui ?

— Vous m’avez terrifiée, cet après-midi, dit-elle, avec votre taille, votre barbe de sauvage et vos yeux de fou... Je me demande comment vous êtes, sans tous ces poils.

— Comme tout le monde, dit-il...

— Quel âge avez-vous, Robert ?

La gorge de Neville se serra. C’était la première fois qu’elle l’appelait par son nom, et cela lui faisait une impression étrange, presque désagréable. Il aurait voulu qu’ils restassent encore des étrangers l’un pour l’autre. Au moins jusqu’au lendemain...

Elle reprit, en détournant le regard :

— Ne parlons plus, si cela vous ennuie... Je m’en irai demain.

Il tressaillit.

— Mais...

— Je ne veux pas compliquer votre existence. Vous ne me devez rien... même si nous sommes les derniers.

Une fois encore, il éprouva un vague sentiment de culpabilité.

— Pardonnez-moi, dit-il. J’ai... j’ai été seul si longtemps. Questionnez-moi. Je vous répondrai.

Elle hésita une seconde, puis le regarda bien en face.

— Je voudrais que vous me parliez encore de la maladie. Elle a causé la mort de mes deux petites filles et de mon mari... Je voudrais savoir.

Neville se décida à parler.

— C’est un bacille, dit-il. Une bactérie cylindrique, qui crée dans le sang une solution isotonique. Sa présence ralentit la circulation sanguine mais assure l’activité fonctionnelle de tout le corps. Le bacille vit de sang frais et procure à l’organisme l’énergie dont il a besoin. Privé de sang, il se détruit lui-même par sporulation ou en engendrant des bactériophages...

Ruth le regardait d’un air incompréhensif. Il se rendit compte que ce langage devait être du chinois pour elle. Il s’efforça d’être plus clair :

— La sporulation est une émission de corps ovales qui contiennent les éléments essentiels de la bactérie à l’état végétatif... En sorte que, lorsque le « porteur » se décompose, ces spores le quittent et se mettent en quête d’un nouvel organisme apte à les accueillir. Lorsqu’ils l’ont trouvé, ils germent, et un nouvel individu est infecté... Quant aux bactériophages, ce sont des protéines inanimées, provoquant un métabolisme anormal qui détruit les cellules...

Il lui parla ensuite du système lymphatique, de l’anaphylaxie provoquée par l’allergie à l’ail, des différents modes de transmission de la maladie.

— Comment se fait-il que nous soyons immunisés contre elle ? demanda Ruth.

Il la regarda d’un air songeur avant de se décider à répondre.

— Dans votre cas, je n’en sais rien, dit-il enfin. En ce qui me concerne, je crois avoir trouvé : pendant la guerre, au Panama, j’ai été mordu par une chauve-souris vampire. Ma thèse est que, précédemment, elle avait eu affaire à un vrai vampire et était porteuse du bacille vampiris. C’est pourquoi, selon moi, elle recherchait le sang humain plutôt que le sang animal. Mais au moment où le germe est passé dans mon sang, sa virulence avait été amoindrie, d’une manière que j’ignore, par son séjour dans l’organisme de l’animal. J’ai été terriblement malade, mais en fin de compte je ne suis pas mort, et le résultat de cette espèce de vaccination, c’est que mon propre organisme y a gagné d’être immunisé...

— Mais la même chose n’est-elle pas arrivée à d’autres ?

— Je ne sais pas, dit-il froidement. J’ai tué la chauve-souris. Peut-être étais-je le premier humain qu’elle attaquait.

Il parla ensuite du principal obstacle auquel il s’était heurté au cours de son étude de la maladie.

— D’abord, j’ai cru qu’il était indispensable d’enfoncer le pieu dans le cœur des vampires. Je me fondais sur la légende. Mais j’ai découvert qu’il n’en était rien. Je leur ai planté des pieux un peu partout, et ils en mouraient toujours. Alors, j’ai cru que c’était par suite de l’hémorragie. Mais un jour...

Et il lui raconta l’épisode de la femme qui s’était littéralement décomposée sous ses yeux.

— ... Ce n’était donc pas l’hémorragie, poursuivit-il. Je ne savais plus que penser. Et puis j’ai trouvé...

— Quoi ?

— J’ai pris un vampire mort. J’ai enfermé son bras dans une cloche à vide. J’y ai effectué une saignée. Le sang a coulé, mais c’est tout... Vous ne comprenez pas ?

— Euh... non.

— Lorsque j’ai laissé l’air pénétrer dans la cloche, le bras s’est décomposé... Voyez-vous, le bacille est une manière de saprophyte. Il peut vivre avec ou sans oxygène, selon le cas. A l’intérieur de l’organisme, il est anaérobie et vit en symbiose avec le système tout entier. Le vampire lui procure du sang frais, le bacille fournit de l’énergie au vampire, de sorte que le vampire peut continuer de procurer du sang frais au bacille. Incidemment, le germe provoque aussi la croissance anormale des canines...

— Ah oui ?

— ... Mais lorsque l’air pénètre dans l’organisme, la situation se modifie instantanément. Le germe devient aérobie, et au lieu de rester symbiotique, devient résolument parasitique  – c’est-à-dire qu’il dévore son propre « porteur »...

— Et le pieu...

— Le pieu laisse entrer l’air, et la blessure qu’il provoque est trop large pour permettre à la glu sanguine d’agir. Cela montre que le cœur ne joue aucun rôle dans l’affaire... A présent, je me contente d’entailler profondément les veines des poignets.

Il sourit vaguement et ajouta :

— Quand je pense à tout le temps que j’ai perdu à fabriquer des pieux !... Voilà pourquoi la femme dont je vous parlais s’est décomposée si rapidement : elle devait être morte depuis si longtemps qu’au moment même où l’air a pénétré dans son organisme, les bacilles ont causé une putréfaction spontanée.

Ruth frissonna.

— C’est horrible, dit-elle...

Il la regarda avec surprise. Horrible ? Il avait perdu cette notion depuis des années. Pour lui, le mot « horreur » n’avait plus de sens : il était blasé...

— Et ceux qui sont... toujours vivants ? questionna Ruth.

— Eh bien, lorsqu’on entaille leurs poignets, le germe devient automatiquement parasitaire. Mais la plupart meurent simplement d’hémorragie...

— Simplement ?...

Elle tourna la tête brusquement et il vit ses lèvres se serrer.

— Qu’y a-t-il ? demanda-t-il.

— Ri...rien.

Il sourit.

— Vous savez, on s’habitue à ces choses. Il faut bien... On ne saurait appliquer les principes de la Déclaration des droits de l’homme dans la jungle ! Croyez-moi : ce que je fais, c’est la seule chose à faire. Vaudrait-il mieux les laisser mourir de la maladie pour qu’ensuite ils reviennent... d’une manière beaucoup plus terrible ?

Elle joignit les mains et dit nerveusement :

— Mais vous disiez que beaucoup d’entre eux sont... sont toujours vivants. Comment pouvez-vous savoir qu’ils ne resteront pas vivants ?

— Je le sais, dit-il. Je connais le bacille, je sais comment il se multiplie. Si longtemps qu’ils lui résistent, il doit finir par les emporter. J’ai mis au point des antibiotiques, je les ai expérimentés, en vain. Il est trop tard pour songer à la vaccination. Leur organisme ne peut combattre les germes et en même temps, sécréter des anticorps. Croyez-moi, c’est sans solution. Si je ne les tuais pas, tôt ou tard ils mourraient et « ressusciteraient » pour me tuer, moi. Je n’ai pas le choix...

Ils restèrent silencieux et, pour la première fois depuis des années, il se demanda vaguement s’il était tellement sûr d’avoir raison. C’était sa faute à elle, s’il se posait cette étrange question...

— Pensez-vous vraiment que j’aie tort ? demanda-t-il enfin, d’une voix incrédule.

Elle se mordit la lèvre.

— Ruth..., insista-t-il.

— Ce n’est pas à moi d’en décider, répondit-elle enfin.

Je suis une légende
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